Montmartre, La Bohème de Picasso
Du haut de ses 130 mètres, la butte Montmartre domine tout Paris. D’ailleurs ici, on n'est pas vraiment à Paris. Il y flotte comme un air de campagne. On y croise à chaque coin de rue les fantômes d’un passé prestigieux. Situé dans le 18 arrondissements, comme une île qui surplombe l’océan parisien, la butte est un véritable belvédère pour les touristes, mais aussi pour les artistes.
À quelques pas de la majestueuse silhouette du Sacré-Cœur, on trouve le plus grand atelier à ciel ouvert d'artifice au monde, la place du tertre. Près de 300 peintres et portraitistes viennent ici chaque jour gagner leur croûte. Cette ancienne place publique ouverte en 1635 a été fréquentée au début du 20e siècle par toute la bohème montmartroise, peintres, chansonniers, et poètes.
Pablo Picasso fut l’un d’eux. Le peintre espagnol vécu à Montmartre près de 10 ans qui marqueront durablement son œuvre. C’est ici qu’il vivra une partie de sa période bleue, froide et mélancolique, puis sa période rose, heureuse et légère. Mais lorsqu’il débarque à 20 ans tout droit venu de son Espagne, le décor est bien différent.
La Montmartre de Picasso était semblable à une bourgade campagnarde où apparaissent les moulins au-dessus du vieux maquis, des fermes, des étables où on allait chercher le lait le matin. Des jeunes femmes revenaient de la place du tertre avec un bras sur l’épaule, car on allait encore tirer l’eau à la fontaine, il n’y avait pas encore l’eau dans les maisons. Le décalage avec Paris était total.
Encore aujourd’hui, on peut apercevoir le Montmartre du début du 20e siècle.
Il suffit de se rendre rue le Pic, de pousser une grille et grimper quelques marches, nous voilà dans ce qu’on appelait le maquis de Montmartre. À l’époque en terrain vague, presque un bidonville de cabanes et de taules où vivaient des marginaux, des chiffonniers et de jeunes artistes. C'est aujourd’hui une parcelle préservée du temps, à l’abri de l’agitation de la rue. Un petit havre de paix que les Montmartrois gardent jalousement.
L’arrivée de Picasso à Montmartre
Picasso arrive pour l’exposition universelle de 1900, dans un Paris en pleine effervescence intellectuelle et c'est à Montmartre qu’il s’installe, un quartier déjà chargé par une aura artistique, dans laquelle sont passés Van Gogh, Manet, Degard, Renoir. Comme pour ses prédécesseurs, Montmartre est une inépuisable source d'inspiration pour Picasso qui peint alors son quotidien le plus ordinaire : le bal du moulin de la galette à la manière des impressionnistes, et même la vue de sa chambre sur les toits bleus de Paris. Picasso choisit Montmartre parce qu'il y avait une grande communauté d’artistes. Notamment beaucoup d’artistes espagnols.
Le Bateau-Lavoir un monde de création
C’est là où il a réussi à avoir un atelier à un prix très raisonnable. Cet atelier situé sur l'ancienne place Ravignan, c'est le bateau-lavoir. Surnommé ainsi par le poète marc Jacob, grand ami et grand admirateur de Picasso à cause de son architecture et de son linge qui sèche aux fenêtres.
Quand Picasso arrive au bateau-lavoir, c’est une ancienne bâtisse qui a du charme mais qui est complètement délabrée. Il n’avait qu’un robinet au 2e étage où il n’avait ni eaux courantes ni électricité. Picasso peignait à la bougie le soir, ou a la lumière de la lampe de pétrole. C'étaient vraiment des conditions extrêmes de pauvreté. Une bande se forme autour du jeune Espagnol dont le bateau-lavoir devient le point de rassemblement. Marc Jacob et Guillaume Apollinaire, George Brak ou encore son premier grand amour, la mannequin Fernande Olivier. Tout cet entourage artiste forme une vraie émulation autour de Picasso. Et c’est dans cet atelier que le jeune Espagnol va révolutionner la peinture.
Si le bateau-lavoir est mythique, c’est parce qu'il a vu naître les demoiselles d’Avignon, le grand tableau qui inaugure le cubisme. Elle est un œuvre fondamentale du mouvement cubisme ! Avant-tout il y a une réelle envie de casser les codes, de la représentation de la perspective. Avec les demoiselles d’Avignon, il montre son intérêt manifeste pour l’art moderne. Le bateau lavoir c’est là où Picasso a pu vraiment inventer quelque chose de nouveau. Il est ainsi passé d’un artiste doué à un véritable créateur. Pour peindre ces corps déstructurés de prostituées, Picasso va hanter les bordels de Montmartre et remplir pas moins de 15 carnets d’études. Détruit dans un incendie en 1970, il va être entièrement reconstruit en 25 ateliers qui abritent encore aujourd’hui des artistes du monde entier. Les quarts sans lumière ont fait place à des pièces lumineuses aux hauts plafonds dans lesquelles la végétation s'infiltre.
Un siècle plus tard la lumière et la verdure restent les mêmes. Mais la vie des artistes a un peu changée. Avant il n’avait pas le sou, il n’avait pas le chauffage, Picasso était toujours dehors. Maintenant les ateliers sont plus sérieux et cette époque est révolue. Et c’est aussi dans cet atelier que Picasso vivra la fin de sa période bleue, mélancolique suite a la mort de son ami Casagemas suivie de sa période rose plus gai, quand il tombe amoureux de Fernande.
LAPIN AGILE Le cabaret de Picasso
Descendons maintenant la butte, nous arrivons inévitablement sur ce fief absolu de Montmartre : le quartier général de Picasso et sa bande “le lapin agile”, le plus vieux cabaret de Paris aux allures de cabaret de campagne. Chaque soir derrière ses fenêtres colorées et opaques, des saltimbanques des temps modernes entonnent des vieilles chansons françaises lors de veillées ouvertes au public. Les artistes du cabaret entretiennent un esprit montmartrois, authentique, le même que Picasso a fréquenté un siècle plus tôt.
Le décor n'a pas changé, les mêmes tables, les mêmes bancs, il n’y a aucune concession, il n’y a pas de micros, il n’y a pas de laser, ni de radio comme si le monde s'était figé.
Picasso et ses amis passaient des nuits entières autour des tables en bois, au son du piano et de l’accordéon à refaire l’art et le monde. Il restera ainsi avec le père frédé truculent propriétaire qui les prend sous son aile. Frédé avait directement reconnu le talent de Picasso, et le jeune espagnol se sentait en confiance dans le bar, son bar, une ambiance familiale régnait.
Habitué à prendre ce qu’il a sous les yeux il fera une peinture de ce cabaret qu’il aime tant, et il l'offrira au père frédé. Comme pour retrouver une trace de sa jeunesse Picasso reviendra toute sa vie au lapin agile.
Les fêtes de Montmartre en l’honneur de Picasso
Chaque mois d’octobre Montmartre se célèbre la fête des vendanges. Pendant plusieurs jours, le quartier se réveille au bruit des tambours et des petits poulbots, des danses du monde et des défilés des confréries. À l’origine de cette fête, un grand mouvement de résistance des habitants de Montmartre auquel Picasso n’est pas étranger. En 1929 Montmartre est menacé de destruction par l’urbanisation galopante de Paris. Mais le passage de cette génération exceptionnelle d’artiste avec Picasso en figure de proue va faire de Montmartre un sanctuaire intouchable que les montmartrois vont défendre.
Pour défendre la ville les montmartrois créent un mouvement environnemental, qui va servir à lutter contre l’urbanisation. Leur plan d’action ? Créer le square de la liberté. Le square est illégal avec une fausse plaque de la ville de Paris, parfaitement imitée, qui au départ était un simple terrain vague. Pour narguer les édiles tout le monde célébra la création du nouveau square de manières très provocatrice. C’est une victoire, le terrain est déclaré inconstructible ! En 1933, à la place du square, les Montmartrois vont replanter une vigne dont on fête chaque année la vendange et dont le vin est vendu au profit des déshérités. Picasso disait “nous retournerons tous rue Ravignan, en fait nous n’aurons été heureux que là. “
Picasso gardera Montmartre gravé dans le cœur toute sa vie, la butte était sa campagne. Ces artistes et ces esprits libres et qui l'ont inspiré et soutenu toute sa vie, lui ont permis de mener sa propre révolution. Même à Montparnasse, l’autre quartier des artistes dans lequel il s'installe ensuite, il n’oubliera jamais que c’est Montmartre qui a vu naître son génie, et a fait de lui l’un des plus grands artistes du 20e siècle.